INTRODUCTION
Le travail que nous
présentons ici concerne la culture du peuple Yira, appelé en d’autres
termes,
peuple Nande. Dans un autre article, nous avons parlé à long et à large
de ce peuple et là, il s’agissait de parler d’un seul aspect à savoir l’intérêt
que le Christianisme a rencontré dans cette culture. Parler ici de la culture,
touche plusieurs aspects tels que l’initiation masculine ou féminine, le
mariage, la conception de Dieu, la conception de la mort, la vie sociale, la
vie familiale.
Périphéries de Butembo |
Nous ne parlerons pas de
tous ces aspects étant donné que toute délimitation s’impose. Nous nous
intéresserons beaucoup plus à la vie familiale puisque la famille est le lieu
par excellence où l’on apprend la culture.
LA VIE
FAMILIALE ANCESTRALE CHEZ LES NANDE
La vie
familiale des Nande est basée sur le système du patriarcat. Le père (pater
familias) est plus qu'un mari pour la femme, il est son époux, le chef de
la famille, le responsable des membres de son foyer, le garant de son unité, de
sa vie et de sa survie. Bien que la femme ait un statut juridique contenu dans
celui de son mari, elle jouit des relations de complémentarité avec son mari,
de l'attachement de son mari, de son respect, de sa fidélité, de la dignité
d'être épouse et éducatrice des enfants, du prestige d'être considérée comme
une reine (omughole) qui lui donne une autorité morale dans la gérance
des affaires familiales et du foyer, d'être l'intermédiaire entre le père et
ses fils. Le rôle d'épouse, de mère et d'éducatrice est si délicat que les
femmes sont parfois accusées pour les erreurs de leurs enfants bien que ceux-ci
aient atteint l'âge de raison. Ces enfants doivent momentanément quitter la
maison paternelle pour être rééduqués par un oncle maternel (nyokolume :
homme-femme) ou une tante paternelle (nyinyalume : femme-homme).
Cette humiliante sanction pour les enfants est culturellement ressentie comme
une perte de sa dignité d’homme ou de femme : la fille est prise pour un
garçon et inversement, le garçon est considéré comme une fille. Dans cette
mesure disciplinaire, les Nande estiment qu’une fille qui a le caractère d'un
homme doit être remise entre les mains de sa tante paternelle, et le garçon,
chez son oncle maternel. Les qualificatifs paternel et maternel sont
suggestifs. Cette inversion apparente de rôle laisse percevoir la vision de la
tante paternelle et de l’oncle maternel. Elle implique que l’éducation de la
fille revient à la maman tandis que celle du garçon revient au père de la
famille. Dans le cas où le comportement de l’un ou l’autre enfant ne
correspondrait pas à son sexe, ce sont les parents issus du côté maternel, pour
le garçon, ou du côté paternel, pour la fille, qui peuvent remodeler le
caractère de ces enfants. Leur rôle est de rappeler les attentes de la société
vis-à-vis de la fille ou du garçon : la douceur et la tendresse pour
celle-là, la virilité pour ce dernier. Dans la famille chaque enfant porte un
nom qui souligne son identité et sa personnalité. Les noms peuvent indiquer le
rang de naissance, les circonstances, les événements que traversent la famille
ou encore le nom d'un ancêtre proche. Hormis les noms de naissance, on
rencontre aussi des noms donnés à la naissance. Ils sont en rapport avec l’état
physique de l’enfant ou les circonstances qui accompagnent l’accouchement.
D’autres
noms sont donnés par la maman de l’enfant. Ils sont en relation avec la vie
familiale et traduisent les compliments de la mère à l’adresse du père de
l’enfant, des plaintes contre le mari et les siens, plaintes contre ses
coépouses dans le cas de polygamie, des moqueries de la mère, des complaintes
sans destinataire déterminé (grognes), des menaces contre son mari, des
remerciements à l’égard de la famille de la mère. Il existe aussi des noms que
la maman donne à un enfant qui a déjà grandi, ou que les membres de la famille
peuvent donner à l’un des leurs, et enfin des surnoms données au grandes
personnes. Ces noms donnés aux adultes soulignent souvent des traits de
caractère de la personne comme les noms reçus lors de l’initiation masculine. Les
noms traditionnels traduisent l'identité familiale parfois replacée dans son
contexte historique. Ils permettent de préciser les circonstances de la
naissance et d'orienter l'éducation de l'enfant ou de rappeler le souvenir d’un
ancêtre ou d’un défunt. Le nom véhicule un message, un contexte, un appel et un
caractère.
La famille Nande
est monogamique et exogamique. Elle va au-delà de la consanguinité. Elle inclut
en son sein le fœtus, les vivants et les morts ainsi que les personnes
adoptées. Elle englobe les membres des familles de ceux qui se sont unis par le
pacte de sang (ekihango) et par les alliances matrimoniales (eritahya).
Ce réseau de relations parentales, familiales, claniques, communautaires et
sociales, est à l'origine de l'expression Nande : « nous sommes de la même
famille (tulivahanda) ». Celle-ci implique l'unité ethnique. Ces
liens de parenté induisent des comportements et des attitudes spécifiques dans
les rapports interpersonnels et sociaux. En fait, dans la culture Nande, il n’y
a que les familiers qui peuvent connaître le nom de famille des uns et des
autres. Désigner quelqu’un par son nom de famille signifie concrètement que
l’on a une connaissance profonde de cette personne. Appeler quelqu'un par son
nom de parenté ou de famille, c'est s'engager dans des relations spécifiques
avec lui.
Ce fait
incite les parents à encourager les enfants à n’utiliser que les noms courants
des personnes et non ceux qui sont liés à leurs familles. Il n’est pas question
seulement de discrétion à l’égard des personnes et de leurs familles mais aussi
du respect qui leur est du. Ainsi, l’usage des noms usuels, selon l’ordre de
succession de naissance est le plus utilisé. Nous les retrouvons sur le tableau
ci-dessous :
Succession des noms de naissance
chez les Nande
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Sexe
|
Masculin
|
Féminin
|
1.
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Nzanzu, Kambere, Mumbere, Paluku
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1. Kanyere, Masika
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2.
|
Kambale, Tsongo, Kambasu
|
2. Kavira, Katsiravwenge
|
3.
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Kasereka, Kamate, Kabuyaya
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3. Kaswera, Kavugho
|
4.
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Kakule
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4. Mbambu, Kahambu
|
5.
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Katembo, Tembo
|
5. Katungu,
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6.
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Mbusa
7. Katya
|
6. Kyakimwa
|
8.
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Ndungo (cadet)
|
7. Nzyavake
8. Katya, Kalivanda
|
A partir du
neuvième enfant, on recommence au début, c'est-à-dire, par Paluku s’il s’agit
d’un garçon ou Masika si c’est une fille. D’où, dans une famille, il y a lieu
de trouver deux Paluku ou deux Kavira. Le nom Muhindo désigne un enfant du sexe
masculin qui vient après une ou plusieurs filles. Exemple : les parents
peuvent avoir rien que des filles jusqu’à Kahambu, si par chance l’enfant qui
va naitre est un garçon, il porte le nom Muhindo et le garçon qui sera né après
Muhindo, porte le nom Kambale et la liste des garçons peut continuer
normalement. La première fille qui va naitre après un ou plusieurs garçons porte
le nom Kahindo. Une fille qui viendra après elle, est nommée Kavira. S’il y a
alternance, les garçons suivront l’ordre des garçons, de même pour les filles.
Mais par défaut, il n’est pas étonnant de trouver des hommes du nom de Kahindo
et des femmes du nom de Muhindo.
Par ces
noms, on perçoit immédiatement quel ordre l’enfant occupe dans la famille. Dans
la même perspective, on n’appelle pas un parent par son nom, on l’identifie par
son fils ou sa fille : le papa ou la maman d’un tel. Les rapports entre
les personnes varient selon les types de relations que ces personnes
entretiennent entre elles : appeler quelqu'un père fait transparaître
l'autorité et la protection ; mère, l'affection ; oncle, la
familiarité, et grand-père, l'ami ou le frère.
L’appellation
grand frère connote une ascendance qui exige le respect et l'obéissance, celle
de cousine implique l'amitié profonde, la belle-famille, un dialogue sincère
avec des sentiments respectueux accompagnés de honte. La grand-mère peut
appeler son petit-fils son mari pour témoigner par plaisanterie de quelle
affection il l’entoure. Dans le même ordre, il existe des relations amicales de
plaisanteries fâcheuses entre les cousins (ekyavise). Ces insultes ne
sont pas sanctionnées car, en réalité, elles ne cherchent pas à nuire à la
personne. Bien que monogamique et exogamique, la culture tolère néanmoins la
polygamie pour certaines personnes, dans des circonstances particulières.
L'exiguïté du domicile, les nombreux visiteurs qu'ils reçoivent, ainsi que les
longues tournées dans leur royaume justifient la polygamie pour les chefs.
Certains, pour des raisons de richesse, de prestige peuvent se faire polygames.
Ils vivent, cependant, psychologiquement en marge de la société qui ne
reconnaît que la première épouse comme mère et reine (omughole).
Il existe
culturellement des cas de polygamie et de polyandrie vécus dans la
clandestinité et dans des domiciles séparés. Ces situations sont des mesures
palliatives à la stérilité de l’un des conjoints. Elles peuvent se rencontrer
aussi dans les circonstances qui permettent l'adoption de la veuve (erisighalya)
de son frère ou un remariage avec la sœur d'une épouse stérile ou décédée. Le
but poursuivi est de donner une progéniture à la famille, de maintenir la
stabilité du foyer et de sauvegarder les relations harmonieuses nées de
l'alliance matrimoniale entre les deux familles.
Ces valeurs
de stabilité de la famille, accompagnées du souci d'assurer une continuité
linéaire des ancêtres dans la progéniture, incitent les Nande à éviter le
divorce. Ce dernier peut être permis lors de la stérilité et de l'impuissance
de l’un des conjoints. Pour maintenir l’alliance contractée entre les deux
familles, du côté de la conjointe, il arrivait que la belle-famille donne une
autre fille au garçon, moyennant une dot symbolique. Dans le cas de l’homme, le
frère mari stérile ou impuissant donnait une progéniture à la femme. Ces
situations extrêmes étaient des cas rares. Ces solutions tournaient autour de
la dot (10 chèvres) difficile à restituer par la belle-famille dans le cas de
la maladie de la conjointe, et inversement de l’amour difficile à rompre quand
la conjointe aime son mari. En tout, l’alliance matrimoniale à sauvegarder
commandait aux attitudes à prendre dans ces situations de maladie.
L'infidélité
réitérée de l'épouse, l'aversion naturelle, l'entêtement, la paresse, la fuite
de la femme de son toit conjugal, et, parfois, les maladies incurables
pouvaient conduire au divorce si la partie concernée ne parvenait pas à amender
son comportement. Cette blessure sociale ne brise pas nécessairement les
relations entre les deux familles qui entretiennent souvent de bonnes relations
amicales qui vont jusqu'à l'obligation morale d'entraide et à la solidarité. Ce
vécu familial nous pousse à dégager les différents caractères et fonctions de
la famille. Elle comporte une dimension religieuse et sacrée, et elle joue un
rôle culturel et politique. Par ailleurs, elle a une fonction sociale,
éducative, et économique. Par sa fonction régénératrice de la vie qui
procède de Dieu et par son lien de solidarité entre les vivants et les défunts,
la famille revêt un caractère sacré et religieux à tel point qu'elle peut être
comprise comme le lieu spirituel unissant les hommes qui
remontent à l'ancêtre mythique commun situé dans un temps reculé. Dans cette
vision, la naissance suivie du rite de l'exposition du nouveau-né au soleil,
est prise comme une épiphanie de l'ancêtre dans l'enfant qui peut
même porter son nom.
L'union à
l'ancêtre commun pousse la famille à exercer une certaine fonction politique
dans la communauté. Le fait d'être parent implique une responsabilité vis-à-vis
de son foyer et de la société. Ainsi, le chef de la famille (mukulu wa vandu)
ou aîné du clan participe avec sa suite à la gestion communautaire de la vie du
clan et du village. Il préside les palabres familiales, représente le clan dans
les affaires interclaniques, communique les décisions qui en découlent, et
enseigne l'histoire de sa famille et du village (evinywa vy'eka) aux
siens. Il a aussi une fonction religieuse, celle d’être l’officiant lors des
sacrifices aux mânes des ancêtres familiaux.
Cette
relation avec le village confère à la famille une fonction d'éducation et de
socialisation qui va de la famille restreinte (nucléaire) à la famille
élargie qui comprend ceux qui sont unis par les liens de consanguinité, de
pacte de sang, d'adoption, d'appartenance au patrimoine ancestral, et des liens
d'alliances matrimoniales.
CONCLUSION
Pour clore
notre petit débat sur la vie familiale Nande, nous pouvons dire en gros que la
famille se prête comme un lieu de l'approfondissement de la connaissance
de soi et de socialisation par l'initiation à la vie communautaire
disciplinée constituée de personnes équilibrées et de caractère (omutima)
courageux (omuhwa) et fermes (ovulume), et animées d’un esprit de
collaboration et de coresponsabilité (ovwangiriri). Cet apprentissage
initie à l'habileté, à la promptitude dans l'action, au goût du travail (ovukali)
bien fait et incite à l'esprit d'initiative, à savoir se débrouiller (amenge)
et se défendre (eriyilwirako).
Enfin, la
famille a un rôle d'éducateur à la vie économique dont la source est la
terre ancestrale (eririma) qu'il faut exploiter en commun dans
l'entraide (ovuwatikania) et le partage des produits personnels et de la
communauté. Cette terre ancestrale est un don et un héritage inaliénable qu’il
faut défendre contre l’usurpateur. L’attachement à cette terre maintient la
famille dans la cohésion, la solidarité et l’interdépendance mutuelle.
SOURCE
La vie familiale nande : https:// www.
Google.fr/#q=la+vie+familiale+nande.