INTRODUCTION
I. PRESENTATION DES YIRA
I. 1.Situation géographique et appellation de
l’ethnie
Mashauri
KuleTambite nous rapporte que la population Yira occupe deux pays différents.
Lorsque les puissances européennes se divisèrent l’Afrique des Grands Lacs au
XIXèmesiècle, les Yira se trouvèrent séparés par une
frontière : la majorité de la population appartint à l’Etat indépendant du
Congo (EIC), et une minorité fit partie de l’Uganda. Au Congo, les Yira
habitent les hauteurs des monts Mitumba à l’ouest du lac Kaihura (Lac Edouard),
jusqu’à 2780m d’altitude, la plaine de la rivière Kalemba (Semuliki) à 916m
au-dessus du niveau de la mer. Ces Yira congolais sont appelés officiellement
Wanande, Banande ou Nande.
Ils
sont essentiellement agriculteurs, de lange bantu, et ne sont pas à confondre
aux Nandi, peuple pasteur du Kenya, de langue nilotique. Ceux du versant sud-ouest du mont
kitara-kya-Nzururu (Ruwenzori), portent le nom de Banyisanza. En Uganda, les
Yira habitent la région du Toro, le versant oriental du kitara-kya-Nzururu et
le nord des lacs Kaihura et Risamba (George), où ils sont appelés Wakondjo.
Signalons
enfin que les Yira sont souvent appelés Balyoko par leurs voisins notamment
ceux de la forêt à l’ouest de Beni et
Banyirungu par les montagnards. Nous venons d’invoquer là six appellations
différentes consacrées à une seule ethnie : Wanande, Wakondjo, Banyisanza,
Banyirungu, Balyoko et le vocable Yira.
I.2. Origine et diffusion des termes
Nous
définissons ces termes dans l’ordre d’importance c'est-à-dire que nous
commencerons par les plus diffusés pour terminer avec ceux qui le sont le
moins, non pas dans les écrits mais au sein même de l’ethnie différemment ainsi
désignée.
1.
WANANDE est une déformation de Wanaenda, mot swahili
qui signifie ils partent ou ils fuient. Ce terme vient des Arabisés marchands
d’esclaves et d’ivoire. Ils arrivaient dans les villages alors que les
habitants venaient de prendre la fuite, de partir (kuenda). Il signifie fuyards
et il est peut-être à rapprocher de Watoro, car kutoroka veut dire fuir. Les
termes Wanande et Watoro sont synonymes. Le premier a donné le mot Toro et le
second celui de Bunande pour désigner respectivement les régions de l’ethnie en
Uganda et en RDC. D’origine swahili, ces termes ont été adoptés et diffusés par
les colonisateurs anglais et belges.
2. BAYIRA est un terme de langue locale et signifie les
aborigènes, les autochtones, les natifs ou les possesseurs de terres. Ce terme
se rencontre dans plusieurs ouvrages sur
la région interlacustre ; nous avons pu relever onze variantes de
celui-ci : Baira, Bairo, Bayira, Biru au pluriel et Ira, Iru, Kaira,
Muyira, Mwiru et Bwiru au singulier. Le terme Bayira couvre les Wanande et les
Watoro en RDC et en Uganda.
3. BANYISANZA
se rapporte aux habitants des versants oriental
et sud du mont Kitara-kya-Nzururu, les Watoro; il signifie en langue locale,
les descendants d’Isanza (une branche).
4. WAKONDJO : ce terme s’applique d’une part, au groupe
résidant en Uganda, vu par celui de la RDC, et d’autre part, aux montagnards. C’est
une déformation du mot swahili wagonjwa (malades). Les esclaves capturés dans
les montagnes, arrivés dans la plaine où étaient établis les postes relais des
arabisés, y tombaient malades (kugonjwa) suite au changement d’altitude et au
passage d’un climat froid au climat chaud.
A l’origine, le mot Wakondjo
signifierait dans ces conditions non pas malades mais plutôt maladifs.
5. LES
BANYIRUNGU dans la
langue locale veut dire, les habitants de la plaine.
6. BALYOKO
est un mot de la langue locale (balyoko ?sont-ils
dans ce village ?). Cette question est posée pour s’assurer de
l’itinéraire des ennemis, les esclavagistes.
Notons finalement que Yira est le terme le plus générique et qu’il est
d’origine ancienne qu’on rencontre dans les légendes et mythes de la région
interlacustre et dans la mythologie du groupe ainsi désigné[1].
II.CONCEPTION DE DIEU CHEZ LES YIRA
Dans la
conception culturelle des Nande ou Yira, on ne peut parler de Dieu sans
invoquer ses rapports avec l’homme. Le nom de Dieu, Nyamuhanga, traduit un rapport réciproque de l’homme dans
son vécu existentiel avec Dieu, et une reconnaissance de l’Être suprême
intervenant dans l’histoire de l’homme et de l’univers. Dieu-Nyamuhanga
est ainsi perçu par rapport à son mode d'existence, à la création, au
gouvernement du monde, à la vie quotidienne des hommes, et par rapport aux
événements du monde. Par rapport à son mode d'existence, le Dieu-Nyamuhanga,
ne relate pas la complexité et la substance de son contenu. Il exprime celui
qui est la source, l’origine ou la mère (Nya) de l'homme ou de la
personne (mu), et celui qui existe ou soutient par en haut tout ce qui
est créé (hanga). Ce nom de Dieu ne se définit pas. Dieu n'est pas objet de spéculation, il est vécu. Il est celui qui n’entre pas dans la structure
sémantique de la langue et dans les catégories humaines et qui n’a pas
d’homonyme. Il est l’Être absolu, le Tout Autre sans aucune mesure avec les
créatures et libre par rapport à elles. C'est pourquoi les Nande, cherchant à
l'identifier, le révèlent comme le Grand Esprit ou l'Esprit suprême (MulimuMukulu), celui
qui mange en haut (Kalirighulu), l'homme
d'en-haut, du ciel, dans les nuages (Owembyani
ou Owomovitu) ». Ces
expressions connotent une vie dans un monde surnaturel et impliquent
l'ancienneté dans la primauté, la dignité et la grandeur. C’est une offense
grave (erilolo) contre Dieu que de prononcer en vain son nom. Ce
blasphème méritait une réparation immédiate et occasionnait le déménagement du
village pour éviter la malédiction que Nyamuhanga frapperait sur le
coupable et le lieu où il a été profané. Pour réparer ce péché contre Dieu, le
devin immolait un mouton noir et une poule noire le long d’un cours d’eau afin
que l’eau écoule le mal loin du village (evitsivuvilol’omwivanda !). Dieu-Nyamuhanga,
le Grand-esprit (MulimuMukulu),
ne peut être invoqué en dehors du culte. On ne peut évoquer Dieu qu’en
tremblant. Et quand on l’invoque c’est pour le louer, le prier ou l’adorer. Les
Nande sont plus éloquents sur Dieu-Nyamuhanga dans ses rapports avec la
création où il est perçu comme le créateur ou mieux le géniteur des géniteurs
de tout ce qui existe (omuhangiki),
celui qui possède la totalité de la sagesse (Owobwenge) par son intelligence pratique du savoir-faire et
le parfait qui ne souffre d'aucune infirmité (Omulime). Il est surtout invoqué par cet attribut lors de l'inauguration d'une
maison ou de l'installation d'une épouse dans son foyer. L'œuvre de la création
révèle qu’il est le Tout-Puissant (Owobutoki),
avec des vertus corollaires évoquant, en swahili, la victoire (ushindi)
l'intelligence (akili) et le pouvoir (uwezo). Il est le Maître de la réussite
dans la création.
Par ailleurs, Nyamuhanga est considéré comme un Ordonnateur (Katonda),
celui qui arrange la vie, redresse, rassemble, et dispose en ordre toute la
création dont il est le façonneur, le potier par excellence, le modeleur (Muvumbi), artiste agissant avec
tendresse, délicatesse, agilité, habileté et méticulosité (Mukengereghetania).
En relation avec la vie quotidienne des hommes, Nyamuhanga est
appréhendé comme le Vieux (Omusyakulu)
c'est-à-dire le géniteur des géniteurs, le père des arrière-grands-pères (Tatakuluwovotatakulu) aussi loin que
nous puissions remonter dans l'éternité, l'Ancien à qui reviennent
l'antériorité, la primauté, la paternité, la sagesse, l'honneur, la dignité,
l'obéissance, le respect et la crainte révérencielle. C'est pourquoi, on ne
peut évoquer vainement le Dieu-Nyamuhanga sous peine de réparation.
Cet attribut divin, qui comprend aussi une relation avec l'univers,
laisse percevoir Dieu comme le créateur (Omuhangiki) c'est-à-dire celui qui
tient dans sa main tout le créé ou encore celui de qui procède la seigneurie et
la maîtrise sur la création en appelle au Dieu-providence, créateur du grand
bonheur, de la chance (Hangi) et de la bénédiction. Hangi est l’attribut le plus usité quand les Nande parlent de
Dieu. Il est employé pour exprimer la reconnaissance envers Dieu pour ses
bienfaits. Les
hommes n'hésitent pas à avouer qu'ils ont rencontré Hangi (mongahindana Hangi)
pour signifier qu'ils ont eu de la chance, du bonheur ou une bénédiction
(muyisa) divine. Dieu est source de
bénédiction et de tout événement heureux dans la vie de l'homme!
Les bénédictions divines ne sont pas ponctuelles, elles sont
permanentes au milieu des hommes, où Nyamuhanga se révèle comme Nyavingi, la reine ou la source de
l’abondance ; Mulemberi, le
Gardien par excellence des enfants ; Mulisya,
le maître des troupeaux ou le Bon Pasteur du bétail et de l'homme. Il se
dévoile encore comme Nyavawire,
c’est-à-dire celui qui se penche sur les malheurs des hommes et qui éloigne
toute misère, et Mukirania, le
consolateur fidèle.
Nyamuhanga peut aussi se manifester comme Mulindirwa, celui qui attend le moment
propice pour manifester sa générosité aux hommes patients, et comme Mughovolya en suscitant des souvenirs,
en les rectifiant, en promettant une vie à naître, et en précédant l'homme dans
toute activité (Katuli ka nzira) :
le défrichage des champs, l'immigration, la victoire dans les difficultés. Il se présente enfin dans la vie des hommes comme solidaire de l’amour
et de la tendresse familiale, le maître de la jeunesse masculine (Lusenge) et féminine (Mbolu), et comme le sauveteur et le
sauveur (Musavuli) qui retire
l'homme du danger.
Nyamuhanga n’intervient pas seulement dans le quotidien des hommes mais
aussi dans les événements de leur histoire et dans le gouvernement de
l’univers. Il paraît ainsi tour à tour comme le justicier (Kihara), le vaillant guerrier (Matumo),
le pacificateur (Mulekya), et comme Muteluli qui change le cours des
événements pour le bien de l'homme. Il peut se montrer aussi comme le maître
des éboulements (Mutwangwangwa), et
des eaux (Ndioka).
Par rapport au gouvernement de l’univers, Dieu préside aux destinées de
l’univers et de tout ce qui existe. Il est le grand roi de toute la contrée (Mukama), le seigneur de la terre, le
bienfaiteur des agriculteurs et souverain universel (Mwami). Le Dieu-Nyamuhanga est enfin le victorieux du
tambour (Isengoma), père du tambour,
dont personne ne peut dire un dernier mot, indicible et indéfinissable.
Le qualificatif du Dieu-Nyamuhanga qui contient
plusieurs de ses attitudes est Omunyayitwangaghetseghetse.
Il pourrait traduire l’expression biblique « Je suis », et liturgique : « Celui qui est, qui était et qui sera ». Cet attribut évoque
l’aspect attrayant du Dieu-Nyamuhanga qui dirige le monde, le soutient, et qui
intervient dans tous les aspects de la vie pour le bonheur du genre humain.
Cette vision de Dieu incite ainsi le peuple à l’adoration et au sacrifice en
reconnaissance des bienfaits de Dieu dans la vie des hommes.
Il est surprenant que les Nande, malgré la richesse culturelle de leur
religion traditionnelle, n’aient pas développé le sens des sacrifices dédiés
spécifiquement à Dieu. Il n’y avait qu’un grand jour du sacrifice annuel (ovuherevukulu), mis à part les rites et
les cultes organisés au niveau de la famille, du village et du royaume par la
hiérarchie sacerdotale. Celle-ci était composée du chef religieux (mukulu), du grand devin (muhima), du devin (mukumu ou mulaghuli), du
thérapeute ou guérisseur (musaki),
et du chef de famille (isevana).
La fixation de la date du grand sacrifice annuel en l’honneur de Dieu-Nyamuhanga
revenait au chef religieux (mukulu).
Cette date dépend du cycle des travaux agraires
qui se subdivisaient en périodes de récoltes (mois de juin) et en périodes de
semailles de l’aliment sacré, les éleusines (ovulo). La solennité était célébrée
au temps des moissons et était présidée par le grand sacrificateur (Muhereri) accompagné des anciens dont
un ‘Muheri’, le prêtre chargé de
l’abattage de l’animal du sacrifice. A ces personnages, on adjoignait deux
acolytes un jeune de douze ans et une jeune fille encore vierge. Cette fête
nationale était précédée par une continence conjugale et une purification
rituelle. Partout des échos de xylophones (endara)
résonnaient et chantaient Dieu, le grand Roi de l’univers.
Le sacrifice proprement dit se faisait le matin, très tôt, à
l’ouverture du jour (aube), car c’est Dieu qui a ouvert l’univers et a tout
créé. Le grand sacrificateur
immole le mouton blanc après avoir prononcé une longue litanie de paroles
rituelles, et asperge avec un peu de sang de l’animal toute l’assemblée. Quelques
bons morceaux du mouton immolé sont brûlés sur l’autel du sacrifice. Le reste est partagé pendant le repas communautaire durant lequel
chaque participant est personnellement présenté au Dieu créateur par le grand
sacrificateur en ces termes : « O Dieu créateur, celui-ci est notre
tel ». Puis une danse populaire clôture la cérémonie.
D’une manière générale, pour les Nande comme pour les bantu, l’aspect
sacrificiel intervient dans toutes les démarches de la vie. Les sacrifices qui
concluent les rituels des cérémonies des célébrations de la vie humaine
comportent trois moments importants : la prière, l'offrande et les repas
sacrificiels. La prière introductive est une invocation du Dieu créateur,
Maître de la vie et de l'univers, des ancêtres concernés selon les
circonstances, l'exposition de l'enfant au soleil (erihukya), la grande initiation masculine (olusumba), les rites agraires (ovusanyo,
erihamula et erin'embula), les
différents cultes rendus aux ancêtres (ovuhavalimu
ou ovulemberi). Cette invocation est
accompagnée d’une action de grâce pour les bienfaits reçus et à recevoir, et
d’une formulation de l'intention pour laquelle le sacrifice est offert. Cette
intention peut être une demande, une supplication, une conjuration du mal, des
imprécations comme aussi une promesse. Ces prières débouchent sur des offrandes
en nourriture et en immolation des victimes animales, poules, chèvres ou le
mouton bouc émissaire (ekiyibungya).
L'offrande est destinée au Dieu, puissance souveraine et absolue, Créateur, de
tout ce qui existe, aux esprits et aux ancêtres, intermédiaires entre Dieu et
les hommes. Elle est plus qu'une immolation mais un sacrifice de marchandage
destiné à trouver grâce auprès Dieu qui octroie la vie et assure la survie dans
l'état d'ancêtre. Le repas sacré et une danse populaire s'en suivent sont
signes de communion vitale entre le monde visible et invisible, de
réconciliation, d'unité et de solidarité, et exprime un désir de conformer sa
vie selon la vie ancestrale.[2]
CONCLUSION
Au terme de notre travail, disons qu’avant
l’arrivée des missionnaires de la Congrégation du sacrée cœur des Jésus au
Bunande en 1906, puis des Augustins de l'Assomption (Assomptionnistes), les Nande avaient déjà la connaissance de Dieu. Cela a été un grand intérêt qui a permis au peuple d’accueillir le
christianisme sans beaucoup plus de
peine. A noter que bien de résistances n’ont pas manqué au rendez-vous. Leur
impact négatif sur l’expansion de l’Evangile n’a pas eu le dernier mot. Les différentes appellations (pas toutes) selon tel ou tel
rôle que joue Dieu, sont restées jusqu’aujourd’hui, dans les célébrations
liturgiques.
BOBLIOGRAPHIE
OUVRAGE
Mashauri
KULE TAMBITE, Organisation Etatique des
Yira et son origine, in La
Civilisation
ancienne des peuples des grands lacs,
Karthala-Bujumbura,
1981.
SOURCE
La conception de Dieu chez les Nande (24 .03.2014 à
20h45’) :https://www.Google.fr/#q=la+conception+de Dieu+chez les+Nande.
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