INTRODUCTION
La société actuelle se caractérise par des mutations innombrables dont l'aspect moral souffre en première position. C'est ce qui nous pousse à plancher sur l’Inévitable morale.
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Un jeune chinois s'interpose pour tenter d'arreter la colonne de chars envoyée pour écraser les vies humaines. Il représente la morale qui condamne les antivaleurs. |
En
effet, dans cet ouvrage, Paul Valadier nous présente l’image d’un jeune chinois
qui tente d’arrêter, avec la seule arme de son corps, une colonne de chars envoyée
pour écraser la liberté naissante à la place Tienanmen. Ce jeune s’interpose
sur la route avec tout le risque de perdre sa vie. Il veut militer pour la
cause de l’homme qu’on va écraser, homme ferme dans le refus de la violence et
affronté à la grande puissance. Cette image est le reflet de l’homme qui se
dresse contre l’insensé, qui élève la voix de la conscience morale avec tout le
risque dans ce choix. Le jeune chinois représente la morale en ce sens qu’elle
a une plus haute valeur contre la négation
de l’humain. Nous voyons combien la morale est
à ce point de vue inévitable pour tout celui qui a le souci du
sujet humain.
Tout
porte à savoir quels sont les chars dans la société actuelle. Y a-t-il des
moralistes pour empêcher aux chars de
ruiner l’homme en quête du mieux-être ? La morale est-elle aujourd’hui inévitable ?
N’est-elle évitable en vue de sauvegarder sa vie parce qu’on évite des problèmes ?
C’est
l’ensemble de toutes ces préoccupations qui constituent l’ossature de notre
travail subdivisé à quatre grands moments afin d’apporter quelque
lumière à ce questionnement puisque la société actuelle souffre du terrorisme,
de la torture, du gout de l’information et du pluriculturalisme. L’instance
critique précède la conclusion de notre énoncé.
I.
LE
TERRORISME
Le
terrorisme est entendu comme un ensemble d’actes de violence commis par une
organisation pour créer un climat d’insécurité ou pour renverser le gouvernement
établi. Ces actes sont par exemple le détournement d’avions civils, des enlèvements
d’otages, des attaques contre des ambassades. Ce surgissement suscite une
violence. L’on commence par déclarer des guerres ouvertes une fois que l’ennemi
soit connu. Quel est alors le rôle du moraliste face à tout cela ?
A
ce point de vue, il est tout à fait clair de déclarer avec Paul Valadier que le
moraliste adopte une perspective précise pour interpréter et juger ce phénomène. Ni spectateur désintéressé
ni analyste en surplomb, il se situe du coté de ceux qui subissent le
terrorisme ; tout en cherchant à comprendre les motivations des acteurs,
il est en garde contre les justifications idéologiques qui tentent d’édulcorer
une réalité porteuse de mort ou même de la justifier (d’en rendre raison), et
par là toute une part de sa tache tient dans une entreprise de démystification;
pariant pour la raison et le droit de tout homme à mener avec autrui une vie
raisonnable et bonne, mais aussi de lutter pour que sa propre société ne verse
pas dans le délire de la violence, quand elle est le plus menacée et le plus
tentée par des ripostes prétendument radicales [1].
Le
moraliste prend la mesure d’un phénomène, apprécie les valeurs sociales, politiques
et spirituelles qu’il met en cause. Il s’interroge sur les moyens de faire
front à cette occupation actuelle de violence sans donner lui-même une prise de
position. Il oblige de sonder les bases d’un système démocratique. Mais il ne doit
pas y aller à besogne, il doit prendre toutes les précautions possibles.
Le
terrorisme déstabilise l’Etat jusqu’à le rendre incapable de se défendre.
« Le terrorisme vient justement démontrer
l’impuissance de l’Etat de droit à assurer la mise à l’écart de la violence et
à revivifier la condition naturelle (crainte de chacun contre chacun) que cache
la condition civile et politique »[2],
s’il nous faut le rappeler avec Valadier.
Le
rôle de l’éthique est de lutter contre la dialectique ami-ennemi. Mais une
autre solution peut être prise en considération « non point que l’on brandisse la violence,
mais que l’on invente les solutions adaptées à des conflits latents qui
pourrissent dans l’ombre de l’oubli »[3].
L’éthique
a toujours quelque peine à admettre qu’elle n’a chance d’être efficace en
politique que si elle accepte de s’inscrire dans ce jeu de relations complexes entre
apparence et réalité, entre Prince et opinion publique, entre cette cité
déterminée et ses adversaires potentiels, entre ces adversaires et l’opinion elle-même.
Le refus du moraliste ne signifie pas qu’on s’abandonne au jeu machiavélique
c'est-à-dire contraire à la théorie machiavélique de l’apparence selon laquelle
il faut que le Prince accepte de paraitre méchant et cruel surtout si l’unité
et la fidélité de ses sujets sont en jeu sinon les sujets ne croiront pas à
l’apparence. Alors les démocraties peuvent comprendre que les valeurs les plus
hautes de la justice et de la liberté doivent être défendues, non à n’importe
quel prix, mais à un prix en fermeté et en vigilance qui peut être élevé.
II. LA TORTURE
Paul
Valadier nous rappelle que la torture se présente comme un usage réglé de
services en vue d’obtenir des aveux, indispensables, à établir une vérité nécessaire
pour éliminer une violence.
La
pratique institutionnelle de la torture par des corps de la police ou de
l’armée se développe surtout là où des régimes politiques se sentent menacés,
contestés ou combattus, là où ils ont perdu le soutien de vastes couches de la
population, là encore où plus de violence organisée semble être le seul recours
contre les coups de l’opposition, de groupes d’ennemis extérieurs.
Selon
Michael Leven, devant le terrorisme et pour sauver des vies innocentes, la
torture est une mesure acceptable pour parvenir des maux futurs et qu’ainsi
entendue, elle soulève beaucoup moins d’objections que tout autre mode de
punition. Elle ne peut être administrée de manière justifiée qu’à ceux qui sont
connus pour détenir des vies innocentes entre les mains. La justification
implique donc que l’on sache que tel détenu est le terroriste qui a déposé une
bombe, mais que l’on ignore encore là où il l’a déposée et qu’on cherche à prévenir
les effets de son acte.
Mais
l’argumentation montre bien que l’application de la violence sur un individu
est légitimée à partir d’une volonté de savoir. La lutte contre la torture doit
être une dénonciation de la prétention par un quelconque régime politique à détenir
le vrai.
En
outre, la torture n’est pas un vrai moyen pour combattre le terrorisme. A ce
point de vue, déjà en 866, le pape Nicolas Ier disait en s’appuyant
sur l’inefficacité de la torture pour extorquer la vérité, la torture est
un double forfait, car elle fait mentir et elle inflige une souffrance inutile et
avec Pie XII ,la sainte Inquisition, appuyant le pouvoir spirituel (vérité)
sur le pouvoir temporaire (justice), a démontré que personne n’est à l’abri
d’user de la violence (pouvoir temporel) pour asseoir ce qui devient mensonge
idéologique (pouvoir spirituel)[4].
Cela
atteste que c’est la relativisation de la personne humaine qui ouvre la porte à
la pratique de la torture. L’autre principe est de faire éprouver au torturé sa
non-valeur intrinsèque. « La torture
ne cherche pas seulement à obtenir des renseignements, elle vise aussi à
atteindre une personne, à l’atteindre pour la blesser et surtout la détruire à
ses propres yeux »[5],
renchérit notre auteur.
Elle
vise à déconsidérer le sujet à ses propres yeux, donc à détruire l’image
valorisée à partir de laquelle il apprécie toutes choses. Elle n’implique pas nécessairement
un taux insupportable de souffrance corporelle. Elle cherche à obtenir que la
personne elle-même se renie, désavoue ce qu’elle fut, et même pas toujours pour
se livrer aux mains des bourreaux et reconnaitre qu’ils avaient raison.
III. L’INFORMATION
Dans
une démocratie ou dans un espace politique, les citoyens cherchent à s’informer
ou cherchent l’information sur des réalités et contrôlent cette information ou le
contexte selon le cas. Le peuple a le souci de la vérité de tout ce qui se
passe. Que l’information soit objective, cela est leur grande préoccupation. C’est
par les journaux, les radios ou les chaines de télévision que l’information
atteint le citoyen assoiffé de savoir ce qui est la une.
Ces
nouvelles sont récollettées, traitées et diffusées par les journalistes. Les problèmes
professionnels et éthiques se posent au niveau de ces trois stades : le recueil,
l’élaboration ou le traitement et la présentation des nouvelles.
En
effet, ce processus décrit une entrée en scène d’événements ou de discours qui,
par l’acte du journaliste, prennent forme dans l’espace public. C’est dans
cette mise en scène qu’il convient d’être attentif pour découvrir les requêtes éthiques
qu’elle appelle. C’est ici qu’il faut inviter le journaliste à une certaine
responsabilité éthique puisqu’il ne doit pas tout dire sous peine de choquer
l’auditoire. C’est pourquoi Paul Valadier affirme que : « le recueil de l’information suppose une
recherche et un tri. Le journaliste doit choisir dans la multitude des dépêches,
discerner ce qui lui semble vraiment importer, négliger l’anecdotique. Mais dès
ce stade, il peut méconnaitre un indice qui se révélera ensuite lourd de conséquences
d’abord inaperçues »[6].
Il
faudra ajouter que la scène conditionne grandement ce qui y paraît. A affirmer
qu’une image télévisuelle a un poids très sensible plus violent mais aussi
passager qu’un article écrit accablant de preuves. Informer est à ce titre la
valeur ultime du journaliste et être informé est un droit du citoyen.
Le
professionnel des medias participe d’une manière ou d’une autre à l’une des
institutions indispensables à l’expression publique de la liberté, et par là même
il devient responsable de la vie démocratique, comme de son affaiblissement éventuel
ou de sa disparition.
Raison pour laquelle la presse est considérée
comme le quatrième pouvoir dans la gestion de la chose publique après les
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La presse permet à ce que
l’individu accède à l’exercice de sa propre raison. Et nous le disons en
passant avec Valadier que « le
journaliste contribue à la vie démocratique parce qu’il apporte des
informations dont, sans lui, le citoyen ne disposerait pas »[7].
IV. LE
PLURICULTURALISME
Le
sujet humain se présente comme un être essentiellement social. Parler de
pluriculturalisme suppose cette conception morale de vivre ensemble. Cette
multiplicité de cultures qui conjugue l’effort d’atteindre le but. C’est la
recherche de l’unité, du bien social, du vouloir-vivre en commun.
Dans
cette vie commune, les gens ont tendance à ne voir ou à ne considérer comme
frère ou sœur que celui ou celle appartenant à leur communauté. Les privilèges
lui sont accordés sans beaucoup plus de problèmes. A en croire, Paul Valadier, « parler de France pluriculturelle en
toute rigueur supposerait l’absence d’une culture dominante et son élimination
selon le modèle d’une nation dans laquelle toutes et chacune des particularités
culturelles auraient pleine reconnaissance »[8].
C’est
ici que l’on va constater que pour avoir accès aux emplois ou à l’université ou
au travail, dans quelques milieux bien sûr, il faut avoir la maîtrise de la
culture, de la langue. On va devoir appeler étranger, tout celui qui ne
conjugue pas le verbe « être »
de la culture, de la religion, du même milieu, de la même histoire
traditionnelle. Ce genre de pluriculturalisme ou du multiculturalisme suppose
que chacun se retrouve chez lui. On ne s’étonnera pas que de telles questions soulèvent
les passions les plus vives. Elles touchent trop en effet au lien social, au
vouloir-vivre en commun et à la difficulté d’en définir les expressions
publiques pour que la sérénité soit facile. Il faut plutôt rechercher cette sérénité,
et cette recherche n’est rien d’autre qu’un effort de sagesse, en quoi nous
nous trouvons à nouveau sur le terrain éthique. La rechercher, en effet, parce
que la recherche de l’altérité est la source la plus constante, la plus
fondamentale et sans doute la plus permanente de l’hostilité et de la guerre de
chacun contre chacun. Le seul fait de se décider à la sérénité, à la sagesse constitue
une option que beaucoup n’accepteront pas.
Pour
ce qui est de l’étranger, les terroristes considèrent qu’il suffit d’éliminer l’étranger
pour que le problème disparaisse. L’effort de la sagesse consiste particulièrement
à éviter ce genre de pièges afin de pouvoir préconiser une profondeur éthique
et proprement métaphysique. C’est dire que le devoir de la sagesse ne tient pas
seulement dans la nécessité de clarifier les données, il implique un effort d’élucidation
intellectuelle. Il plaide pour l’unité nationale qui est mise en ruine par la
distinction entre les couches sociales notamment avec les différentes
appellations telles que les étrangers ou immigrants et les originaires. Et
cette unité nationale débouche sur l’enquête anthropologique.
Mais
la quête d’une morale commune semble être inutile puisque l’auteur dit
que la quête d’une morale commune est d’ailleurs inutile. Par-delà les rôles
sociaux, nos sociétés libérales ont promu la valeur de l’individu en tant que
tel. C’est elle qui désormais mesure et juge les autres valeurs. Elle est, si
l’on y tient, notre valeur commune, mais elle l’est parce qu’elle renvoie
chacun à la libre et entière disposition de soi, à l’aptitude à penser et à décider
par soi-même ; elle agit peu à peu, mais incontestablement, dans le sens
d’un progressif démantèlement des inégalités reçues par l’habitude, la
tradition ou les systèmes de domination, qu’il s’agisse du statut de la femme,
de celui du travailleur ou même de l’enfant. Ainsi on admet de plus en plus
qu’il revient à chacun de déterminer librement par lui-même sa vie privée, les
conduites qu’il entend suivre, les systèmes de croyances auxquels il estime non
adhérer, et donc de chercher son bonheur ou la satisfaction de ses aspirations
selon les canons qu’il fixe souverainement »[9].
L’on pourrait alors se demander pourquoi
faut-il recourir à une morale publique
puisque ce sont toujours les individus qui sont les mieux placés pour
connaître leurs intérêts, apprécier les coûts de leurs entreprises dans tous
les domaines, mesurer par conséquent ce qu’ils peuvent et doivent faire. Il
faut toutefois dire que même si les individus ne sont pas avertis, nos sociétés
ne sont faites d’une simple juxtaposition hasardeuse de décisions ponctuelles,
elles obéissent, sans toujours le savoir consciemment, à un ordre spontané,
fait lui-même des règles de juste conduite.
Il
y a là donc une limite qui sépare les sujets selon les coteries bien
appropriées. N’est-ce pas là sectariser la loi morale qui se veut pourtant
universelle ? Sur le plan moral cela a moins d’importance puisque la
morale ne tient pas compte des origines. Elle se veut générale. Le moraliste dénonce
tout cela parce qu’il recherche le bonheur du plus grand nombre et de tous.
V. INSTANCE CRITIQUE
Aprés
avoir fait un survole sur la manière dont l’homme est opprimé, nous voulons
montrer tout simplement et tout en nuance que dans la société, le sujet est en
train de subir des actions ignobles dont les noms sont innombrables. Paul
Valadier ne s’est situé que dans un cadre bien déterminé.
Pour
lui, le terrorisme, la torture, l’information et le pluriculturalisme peuvent être
considérés comme des chars qui sont toujours et en tous lieux en route pour
aller écraser l’homme amoindri par les puissances de ce monde. Très bien !
Mais ce n’est pas tout ! Il y en a plusieurs autres. C’est le cas des violences
faites à la femme, l’atteinte à la dignité de la personne humaine, le problème
de l’homosexualité, le phénomène enfants soldats, la place de l’homme face au développement
technoscientifique, et la liste n’est pas exhaustive. Où est alors le moraliste
pour dénoncer cela ?
Quant
aux moralistes eux-mêmes, il y a à encourager l’effort qu’ils fournissent pour
dénoncer les actes qui vont à l’encontre du
sens du bien et du bonheur du sujet, actes qui créent un certain mécontentement
entre les hommes. c’est le cas de la société civile, des groupes de pression,
des parties politiques, des autorités de l’Eglise et de beaucoup d’autres
personnes qui haussent les voix en leur propre nom ou comme personnes morales
pour dénoncer les événements macabres qui accablent les hommes ou sèment la
désolation dans la société.
D’autres,
pourtant, ne savent pas attraper les taureaux par leurs cornes. Ils parlent à
distance et n’approchent pas des chars sous peine de succomber. Ils ne voient
que leurs intérêts. Il suffit qu’on leur donne une somme d’argent pour ne plus
se prononcer. Ils ne sont nullement pas de bons moralites dont la société actuelle
a besoin.
CONLUSION
Pour
clore notre petit débat et sans prétention aucune d’avoir épuisé le sujet et
devant contenir une note d’humilité, disons que la morale est bel et bien
inévitable pour mener à bon port sa vie. Dans notre parcours, nous avons pu
constater que la société actuelle regorge pas mal de chars qui écrasent ou
tentent d’écraser la personne humaine. Les moralistes y sont nombreux pour éveiller
la conscience des individus afin de lutter contre les oppresseurs. Malgré le
terrorisme, la torture, l’information mal diffusée ou mal interprétée et le
pluriculturalisme qui ne cessent de nuire l’homme, les moralistes ne manquent
pas de lever leurs voix pour condamner tous les actes touchant à la dignité de
l’homme.
Même
si certains moralistes semblent fermer leurs yeux devant les événements
susceptibles de nuire, peut-être parce qu’ils cherchent à sauvegarder leur vie
ou à éviter des problèmes, la morale demeure inévitable. Le moraliste risque
tout comme le jeune chinois que nous avons invoqué si haut. Il appartient donc
à chacun d’y jouer son rôle et à sa manière en vue d’atteindre tant soit peu,
le bien collectif.
BIBLIOGRAPHIE
VALADIER
P., Inévitable morale, Seuil, Paris,
1990.
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